Nous
pensions avoir besoin de votre aide pour
répondre à ces questions... et à la principale :
que représente effectivement cette scène ? Pour notre part,
qui pensons avoir déjà vu un tel
éventail, ou du moins une telle gravure (mais où ???),
nous imaginions assez bien, quoique sans aucune preuve, un
témoignage contemporain du fameux tableau de Delacroix
"les Massacres de Scio".
©[louvre.edu] -
photo Erich Lessing |
Et nous évoquions Byron
mourant à Missolonghi ou Victor Hugo dans ses
Orientales...
"Ô horror ! horror ! horror !",
W.
Shakespeare, Macbeth
Les Turcs ont passé là. Tout est
ruine et deuil.
Chio,
l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil,
Chio,
qu'ombrageaient les charmilles,
Chio,
qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses
coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un
choeur dansant de jeunes filles.
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Mais nous nous trompions !
.. Il s'agit en effet de Malek-Adhel enlevant
Mathilde, sujet fort à
la mode. On le retrouve sur des estampes, des assiettes (notamment en
faïence fine de Paillard et Hautin, Choisy, vers 1820) et aussi sur des
"pendules d"épiciers", selon certains
critiques ronchons). L'origine s'en trouve dans
"Mathilde", roman de Mme Sophie Cottin paru en 1805 et souvent réédité
et traduit par la suite.
La
scène de notre éventail y est bien décrite :
l'héroïne, princesse chrétienne (soeur de Richard Coeur-de-Lion) en
Terre Sainte lors
de la 3ème croisade est sur le point d'être victime d'une
attaque de Bédouins, lorsque surgit un guerrier qui attaque
furieusement les Bédouins et les massacre ; il s’empare de
la jeune fille et l’entraîne au dehors. Dans les ruines, les
Chrétiens ont succombé sous le nombre ; les brigands
survivants, « éperdus de terreur », fuient en
hurlant le nom de leur agresseur : « Malek-Adhel » :
«
[...] il ne voit que Mathilde, il ne songe qu’à ses
dangers ; il la pose sur un cheval superbe, se place derrière
elle, d’une main la presse contre lui, saisit de l’autre la
bride du coursier, et suivi de quelques soldats musulmans,
s’éloigne au grand galop de cette scène de carnage."
De nombreuses images ont montré cette scène, et pendant
de nombreuses années, nous nous étions contenté de celles reproduites
ci-dessous, pourtant quelque peu différentes de ce que montre notre
éventail.
image d'Epinal DEMBOUR
Adrien (graveur, imprimeur, libraire, éditeur)
Paris musée national des Arts et Traditions
Populaires 678181
© iconothèque MNATP
C'est
grâce au site du British Museum que nous avons pu découvrir
tardivement la source directe et certaine de l'image figurant sur notre
éventail. Il s'agit d'une estampe datée de 1815-1820, due à Charles
François Gabriel Levachez (1780 - 1820; fl.), imprimée par Roland et
reprenant, selon la notice du musée, un tableau d'Horace Vernet
(1789-1863). Cette estampe est connue, et fait partie d'une série.
Un autre dessin de la série, "Malek Adhel sauve Mathilde de la fureur
des arabes bédouins", est passé en vente le 22 novembre 2002, chez Mes
Calmels Cohen.
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Malek-Adhel
sauve Mathilde de la fureur des Arabes Bédoins
1968,0720.2, AN312954 © Trustees of the British Museum |
D'autres gravures
de cette scène sont
recensées. Ainsi la Bibliographie
de la France note :
11 juin 1842, no. 892. Des scènes de contrebandier : dessins pour
éventails. - (...)- Des scènes chinoises : dessins pour éventails. --
Mort de Malek-Adhel : Malek-Adhel expirant entre les bras de Mathilde.
-- Malek-Adhel enlève Mathilde : cet infidèle emmenant sur son cheval
lancé au galop la jeune chrétienne en costume religieux. -- Malek-Adhel
s'empare de Mathilde et de Bérangère : Malek-Adhel les emmenant dans
une barque. A Paris, chez {Becquet}.
D'autres estampes seront
publiées
par la suite, témoignant du succès de cette histoire, qui accompagnait
sans doute l'expansion française en Afrique du Nord. Les
estampes évoquées ci-dessus
ne sont pas clairement destinées à des éventails. Certaines
indications nous laissent penser que la maison Boulard, prolifique en
la matière, a pu contribuer à la réalisation de notre éventail, et
peut-être le graveur Nargeot, prolifique en feuilles d'éventail au
burin et pointillé.
Sophie Cottin était
une romancière reconnue et très appréciée de l'élite (même Mme de Staël
l'encensait, et Mme de Genlis, avec une pointe de jalousie) mais aussi
des plus humbles milieux. Dans sa thèse Sophie Cottin, une romancière oubliée à
l'orée du Romantisme -Une vie,
une oeuvre, contribution à l'étude de la réception*, David-Paul
Bianciardi écrit :
Les témoignages existent de
voyageurs pénétrant en de modestes logis où sont épinglées aux murs
deux gravures : Atala mourant dans
les bras de Chactas et Malek-Adhel
expirant dans les bras de Mathilde. C’est dire que Mme Cottin
était l’égale du grand Chateaubriand et que les deux oeuvres, Atala et
Mathilde,
figuraient, sans conteste, les deux plus hautes réussites de la
littérature française de la période impériale.
Pour plus de renseignements concernant Sophie Cottin, voir par exemple https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article6353
D'une certaine façon,
cet éventail
rappelle aussi Angélique et Médor
dont nous parlons à propos d'un autre
éventail.
Mais
ceci est une autre histoire... En attendant,
amis visiteurs, amateurs
d'éventails ou simple badauds, si vous pouvez apporter un avis
(ou, mieux encore, des photos d'autres éventails illustrant ce
même roman, ou d'autres du même auteur, ou de tout document en rapport
!)
, n'hésitez pas à nous écrire !
* soutenue le 27
octobre 1995 à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de METZ
MENTION Très honorable avec félicitations du jury (MM. Jacques
Hennequin / Roger Marchal / Eric Fauquet, rapport de M. Jean Gaulmier).
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